Les bouchures

    La bouchure est incontournable dans le paysage Préverangeois, mais elle tend à disparaître ou souvent est taillée basse et ne ressemble plus aux bouchures que j’ai connues dans les années 1950.

 A cette époque les bouchures étaient hautes avec de nombreux végétaux ou arbres tels que l’épine blanche (aubépine), l’épine noire (prunelle) les fougères, les ‘’érondes ‘’mais aussi les saules, les pommiers, les poiriers et encore plus grands, les chênes et surtout les châtaigniers. En bordure de la route de Malétat à la Croix Homo sur 500m tous les châtaigniers se touchaient, à l’automne la route était recouverte de bogues et de châtaignes écrasées par les quelques véhicules qui circulaient.

 Les bouchures ne servaient pas qu’à faire office de clôtures, tous les 6 ou 7 ans elles étaient ‘’plécées’’ , les chênes ‘’ébranchés’’ et le bois récupéré pour faire des fagots ou alimenter le fourneau .

 Les bouchures servaient de refuge aux oiseaux : les merles, mésanges ou ‘’piafs ‘’ y faisaient leurs nids. Et que dire du plaisir du chasseur et son chien qui longeaient les bouchures les unes après les autres à la recherche du lapin ou du capucin. La raréfaction du gibier est certainement dûe à la modification du terrain et principalement à la diminution du couvert qu’était les bouchures.

Il faut malgré tout comprendre l’agriculteur d’aujourd’hui pour qui l’entretien d’une bouchure devient une corvée et représente un coût. Les bouchures sont encore présentent autour des prairies mais elles disparaissent autour des champs cultivés, car la récolte est moindre à l’abri de celles-ci.

 

 Je ne résiste pas à rappeler quelques lignes du poème de Jean Louis  Boncoeur : ’Y a p’us d’bouchures’’ de son œuvre « Le berger m’a dit ».

 


Y A P’US D’BOUCHURES !…

Depis que nout’ gouvarnement
A lancé l’grand demembrement
Pour sauver nout’ agriculture,
J’arcounnais p’us nos locatures !

Non… j’artrouve p’us tous ceux p’tits champs
Bremment bordés d’épinat blanc,
Et qu’avaient si tant d’agrément !…
Y a p’us d’bouchures !

Ça l’a suffit d’un seul été…
Sitôt que l’plan a débuté
Y t’ont lâché dans la nature
Quèques bulldozères en liberté…
Ça l’a été sitôt brouté !
Y a p’us d’bouchures !

Y avait déjà les Pié- Té- Té,
L’équipe des gâs d’l’ectricité,
Pis celle-là des Ponts déchaussés
Que désavrissaient l’paysage
A la goye ou à la cognée,
Minme à la machine à l’échareugner !
Tout c’ que gênait su’ yeu passage…
Ben… c’est p’us la peine à persent,
Y a p’us rin qu’ trépasse de gênant
Pour les fils ou pour les voitures :
Y a p’us d’bouchures !

C’est drôle ! on pense qu’à débiter,
A frucher, à dégarciller !…
Minme ceux-là qu’araient fait la guerre,
Minme ceux-là qu’ voulaient pas céder,
Hier, à départager yeux terres,
Aujord’hui, les v’là enragés !
Ça y va, à la tronçonneuse !
On dirait qu’y v’lont s’arvenger…
Y t’nont çà coumme une mitrailleuse !
Et , j’ te coupe et j’ te coupe, Bon Dié !
Recta, rasibu par le pied,
Les troncs, les mars et la ramure…
A persent : finie la vardure !
Finis les buttes et les foussés :
Y a p’us d’bouchures !

C’est tout plat, tout nu, sans clôtures,
Ça, on peut l’ dire, dam’ on voit d’ loin !
D’ Lignières, on voit l’ Terrier Randouin,
D’ Vicir Hautbois, l’ clocher d’ Marmagne,
L’ Boischaut va dev’ni’ la Champagne !
La Vallée Noire : un parc à foin !
Faut p’us d’ vargnes dans les emblavures…
Des têtiaux, n’en faut p’us dans l’ coin :
Faut p’us d’bouchures !

Mais quand qu’ va v’nir l’ mauvais temps,
Qui qu’ garantira les cultures
Du vent d’ galarne et d’ la froidure ?
Ça va tirer dans ceux grands champs
A n’attraper la sanglaçure !
Pour se mett’e à l’abru du vent,
Y a p’us d’bouchures !

Si y a p’us d ’bouchures ni d’ foussés,
Ni d’ buttes pour les bêtes de la terre,
Là-vou qu’ les mulots vont passer ?
J’ vons tous les avouèr au guernier !
Les auberiaux, quo’ qu’y vont faire,
Qu’y z’aront p’us d’ râts à manger ?
Y vont s’ rabatt’ su’ l’ poulailler !
Y a p’us d’bouchures !

La-vou qu’ vont niger les oisieaux,
Là-vou qu’ trouv’ront yeu naurriture
Les barbes-blanches et les marlots ?
Ça flût’ra p’us guère su’ l’ pelliau ;
Y a p’us d’abru pour les mogneaux :
Y a p’us d’bouchures !

P’us d’en l’ omb’e pour les laboureux…
P’us d’ lumas pour les p’tits chasseux…
P’us d’ violettes pour les amoureux…
Faudra s’ mett’e les fesses à la dure !
Pour faire l’amour, ou … ses besoins,
A persent, faudra aller loin !
Y a p’us d’bouchures !

Dans l’ temps, on v’nait dans nos campagnes
Pour l’agrément de s’mette au vert ;
Tel coumme on allait en Bertagne
Pour vouèr des batiaux et la mer…
Aujord’hui, pour peu qu’ ça vous chante
De vouèr des feuilles, faudra aller
A Paris, au Jardin des Plantes !
Les Parisiens vont rigoler !
Et pis faudra encore payer
Pour vouèr, au Musée d’la Culture,
Scientifiquement arconstituées,
Des fausses bouchures !

C’en est pas là… mais c’est pas loin !
Coumme c’est parti là, faut qu’ çà dure !
Et ça dur’ra longtemps… longtemps…
Juschqu’au jour où qu’un innocent,
Lassé d’ vouèr, trop loin en avant,
Toutes ceux terres nues et sans vardures,
Creus’ra un foussé dans son champ,
Et su la butte, en align’ment,
Plant’ra trois pieds d’épinat blanc…
Et p’t’ête qu’y r’vindra coumme avant,
L’temps des bouchures !

Jean-Louis BONCOEUR

 

un chemin creux vers Villeneuve

P1000445bis